les 3 Cygnes
(...de la honte...)
présentent
une pièce de
Craig Lucas
mise en scène
Cyrille Boussant
Thomas Moulins
avec | |
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Tristan Romain Grandadam |
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Tom Emmanuel Hoblingre |
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Emily
Claire Le Goff |
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Norbert
Ronan Le Nalbaut |
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Libby
Elodie Martigny |
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Boo
Tomah Phénix |
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Alice
Bédite Poupon- Joyeux |
Arnaud Desplechin : il est tout à la fois pour moi un grand frère intrépide et un père attentif. Tous ses films, de "La vie des morts" à "Rois et reine", semblent renvoyer à un thématique quasi obsessionnelle : la filiation. La recherche d'un père tout autant que l'aspiration à devenir père. À la fois chercher ses racines et en même temps s'acharner à s'en défaire, pour se faire soi-même auteur de sa vie. Or, cette thématique de la filiation/création est centrale pour le personnage de Tom. Tom a des pères, de nombreux maîtres qu'il cite tout au long de la pièce : ce sont des artistes qui lui ont donné l'envie de se dire, de créer à son tour. Pour autant, Tom semble incapable de devenir ce géniteur génial qu'il rêve d'être. Même parler de ses pères lui est difficile. D'autant plus difficile sans doute d'en parler et de les dépasser que, sur un plan personnel et non plus artistique, on ne lui connaît pas réellement de famille. Ce jeune guitariste new yorkais semble "évadé" de sa campagne natale. Il a fuit une famille qui n'a su le comprendre. Il a fui son passé. Alors, comment devenir père quand on oublie qu'on a été fils ?
Paul alias Mathieu Amalric dans Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) : en créant Tom, j'ai souvent pensé aux personnages masculins d'Arnaud Desplechin, à commencer par celui de Paul (Mathieu Amalric) dans "Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle)". Ce garçon, pourtant brillant, végète dans l'attente de lendemains triomphants. Incapable d'achever sa thèse car inconsciemment paralysé par l'idée d'échouer. Il y a un peu de cet effroi chez Tom : l'irrépressible envie d'avancer mariée à la crainte fondamentale de découvrir en achevant son œuvre qu'il n'est finalement qu'un artiste médiocre. Il y a aussi le rapport de Paul aux femmes qui me rappelle Tom. Cette difficulté à communiquer avec l'être aimé. La quête d'une parfaite compréhension du monde qui paradoxalement les éloignent tous deux de la vie, des êtres qui leur sont chers.
Paul alias William Hurt dans Smoke de Wayne Wang : dans Smoke, Paul est un écrivain solitaire, aimant sa tranquilité. Ancré, enferré dans un quotidien trop réglé. Il écrit, il s'exprime sur le papier et pourtant il semble privé du don de parler, de communiquer avec ses voisins, ses copains. Un handicap incroyable pour un artiste dont la vocation est de dire le monde et ses contemporains. C'est ce même et superbe handicap qu'on retrouve dans le personnage de Tom. Un cœur gros comme ça mais finalement pas assez solide pour l'exposer directement aux autres. Seul l'art offre à Tom et Paul un moyen d'exprimer ce qu'ils sont et ce qu'ils aiment. Ce handicap à être aux autres, cette difficulté à communiquer, seul l'art peut les en guérir.
Au-delà, le film de Wayne Wang se rapproche de l'écriture de Craig Lucas et des problématiques de "Blue Window". Tous les personnages "sont" d'abord parce qu'ils sont confrontés aux autres : le dialogue est la base de tout. A travers des conversations banales qui confinent parfois à l'improvisation, à travers des discours chaotiques, des propos décousus, l'incompréhension des êtres éclate au grand jour. Tout participe ici à la quête d'une possible communication entre les êtres.
Jimmy Doyle alias Robert de Niro dans New York New York de Martin Scorsese : un grand classique de la comédie musicale même si ce film est tout sauf une simple comédie musicale. On pourrait en parler des heures mais ce qui me fait citer ce film ici c'est qu'il s'agit d'une ode à la vie de héros écorchés, d'artistes bohèmes et paumés en quête d'idéal. Un film drôle et parfois amer, en tout cas toujours émouvant. Je crois que c'est l'étrange alchimie que parvient à produire également la pièce de Craig Lucas.
À ce sujet, lors du tournage, Scorsese demanda à Liza Minelli et Robert de Niro d'improviser de longues scènes de ménages et de dialogues intimistes, à partir d'une simple trame, sans dialogue finement écrit. Le résultat est saisissant de vérité, de vie. Cela s'approche du parti pris qui fut le nôtre en montant cette pièce. La recherche de transparence, de vérité derrière l'artifice.
Pour parler plus spécifiquement du personnage de Jimmy Doyle, bien sûr on peut le rapprocher de Tom car tous deux sont musiciens. Au-delà, Jimmy est hanté par l'idée non pas de "réussir dans le métier" mais avant tout d'être en accord avec lui-même et de mettre en musique ses idées. Cette exigence d'un art abouti et exigeant, je la retrouve chez Tom, tout comme je retrouve chez lui cette forme d'agressivité envers les autres qui n'est que la traduction d'une agressivit&é envers lui-même, envers son incapacité à atteindre l'inaccessible étoile.